Iñaki Williams, du talent plein les basques
A vingt-et-un ans seulement, l'attaquant en est déjà à dix buts plantés cette saison. Mais qui est ce grand gaillard élancé que Liverpool, City et Arsenal s'arrachent déjà ? Portrait.
- Publié le 20-01-2016 à 15h06
- Mis à jour le 20-01-2016 à 15h38
A vingt-et-un ans seulement, l'attaquant en est déjà à dix buts plantés cette saison. L'Athletic Bilbao est une énigme. A l'heure où les frontières explosent sur le mercato, où tout est bon pour réaliser un coup médiatique par agent interposé, les Basques continuent de cultiver leur vivier local... Une politique délicieusement surannée pour les uns, contre-productive pour d'autres, voire carrément communautariste pour les plus sévères. Il n'empêche, entre les Andoni Goikoetxea, Julen Guerrero, Aitor Karanka, Fernando Llorente, Javi Martinez, Iker Muniain, et autres Aymeric Laporte, Los Leones sortent régulièrement quelques petits génies de leur béret. Basque, évidemment...
Le dernier en date ? Un certain Iñaki Williams, soit un grand gaillard âgé de vingt-et-un ans qui présente 1,86 mètre sous la toise pour septante-sept kilos. Un beau gamin né sous le soleil de Bilbao le 15 juin 1994 qui s'impose aujourd'hui sur l'aile droite de l'Athletic. C'est peu dire que le blase de l'équipe de Bilbao colle parfaitement au gabarit de cet ailier ultra-rapide qui était surnommé "Usain Bolt" à Lezama, le centre d'entraînement des rouge et blanc.
Mais ce qui l'a par contre enfin lâché, c'est cette étiquette de premier joueur noir à revêtir le maillot basque. Né d'un père ghanéen et d'une mère libérienne, le jeune homme est en effet bien plus qu'une simple attraction de foire. La preuve avec son bilan 2015-2016 (provisoire, donc !): dix caramels et trois passes décisives distribués en vingt-trois rencontres seulement. En bref, le garçon est décisif plus d'un match sur deux. Pas mal pour un joueur qui n'a pas deux ans de football pro dans les pattes.
Un enfant de la guerre
A l'heure où la question de la double-nationalité hante les débats politiques français, Williams, lui, ne se pose aucune question. "Mes parents sont arrivés ici et je peux m'identifier à leurs histoires, car ils ont énormément fait pour moi", dit-il à Thinking Football. "Je suis né ici, j'y vis depuis deux décennies, et même si je n'oublie pas mes origines, je me sens Basque." Ses racines, elles se situent au Ghana, là où ses parents, Félix et Maria, se rencontrent... dans un camp de réfugiés d'Accra, la capitale du pays d'Afrique de l'Ouest. En effet, sa mère a dû fuir son Liberia natal, en proie à une guerre civile d'une violence inouïe à la fin des années 80. Le couple se lance à la conquête de l'Europe dans la foulée et débarque dans le nord de l'Espagne. C'est là que naît Inaki au milieu des années 90.
C'est pourtant à cent cinquante kilomètres au sud-est qu'il débute le foot. En effet, ses parents peinent à trouver du boulot au Pays basque et filent donc à Pampelune, lieu préféré de touristes avinés pour se faire encorner par des taureaux. C'est au CD local que leur fils dispute ses premières rencontres, tout en se passionnant pour la natation. Et si les recruteurs de Bilbao n'optent que pour du produit local, ils savent également où aller le chercher: en Navarre. Les scouts tombent sous le charme du foot proposé par Willy: un football fait de rapidité, de percussion et d'un amour du dribble qui le rend terriblement séduisant. Ce qui frappe également, c'est la maturité du gamin. "Il a vu pas mal de gens souffrir autour de lui et, bien que ça ne soit pas l'idéal, ça l'a fait grandir plus vite", dit aujourd'hui son agent Felix Tainta au journal The National.
Après deux ans entre deux clubs, il s'engage pour de bon à l'Athletic, son club de coeur. Il a dix ans à peine... et un profil atypique pour la prestigieuse école basque. "Nous n'avons jamais formé de grands joueurs rapides", explique à So Foot Daniel Ruiz Bazan, un ancien de la maison. "Notre centre de formation a eu tendance, ces derniers temps, à sortir des joueurs dits plus de toque." Peu importe, il fait directement son trou en classe d'âge, impose son gabarit, son jeu plein de malice et enquille les buts. "C'était un jeune extraverti, très ouvert sur le monde, qui avait soif de découvrir. C'est ce qu'il transmettait à tout le monde autour de lui", se souvient Iban Lumbreras, qui l'a formé entre ses seize et ses dix-sept ans. Après un prêt réussi à Basconia, dans l'obscure Tercera División (le quatrième échelon espagnol), il monte en grade et rejoint la Segunda Division B (la D3 espagnole) avec les réserves, où il a l'occasion de se mesurer à des hommes. Et on est loin des standards policés de la Liga !
Impressioné, Iñaki ? Pas le moins du monde ! Du haut de ses vingt ans, le centre-avant de la réserve oscille entre triplés et doublés et claque un joli total de vingt-et-un buts en trente-deux matches. Au même moment, dans l'équipe A, un événement va avoir un impact décisif sur sa jeune carrière...
Le successeur d'Aduriz
Décembre 2014. L'Athletic Bilbao débute mal sa saison, lui qui sort pourtant d'un superbe championnat et qui a gratté sa qualif' pour la Ligue des Champions en passant sur le Napoli de Dries Mertens. En plus, son assurance-buts Aritz Aduriz souffre de petits bobos musculaires. Ernesto Valverde, qui a pris la succession du Loco Marcelo Bielsa, décide donc de parier quelques euros sur la jeune tête de Williams. Il intègre le noyau pro et joue ses premières minutes face à Cordoba en décembre 2014. Il ne le quittera quasi plus.
Il s'installe directement sur l'aile droite, poussant progressivement le pauvre Markel Susaeta sur le banc. Avec la fraîcheur d'un cadet, mais l'assurance d'un grand, il abat sa tâche aussi bien offensive que défensive, il s'arrache, court, vole des ballons, presse. Bref, il devient indispensable, comme le dit à demi-mots son coach Valverde. "En peu de temps, Iñaki est devenu un joueur, je ne dirais pas fondamental, parce qu'il y en a d'autres... Mais c'est une immense surprise", dit-il en conférence de presse. "Il nous apporte beaucoup de profondeur et de travail." Forcément, ça plaît à San Mamès, qui lui offre une ovation à faire dresser les poils du plus métrosexuel de nos amis après une rencontre où il est crédité d'un 7.5/10 dans Marca.
Après un but en Europa League contre Torino, l'extase arrive enfin en Liga fin mai 2015, à Elche. Comme un symbole, c'est le "vieux" (trente-quatre ans) Aritz Aduriz, celui dont il est considéré comme le successeur tout désigné, qui lui dévie un long ballon dans les pieds. Le gamin en fait un usage parfait et crucifie le pauvre Przemyslav Tyton de volée. Et tout ça à la nonante-deuxième minute ! Une victoire offerte on the buzzer qui permet à Bilbao de consolider sa place de barragiste pour l'Europa League ! Difficile de rêver d'une plus belle fin de saison...
"Je m'appelle Iñaki et je suis Basque"
La suite fait croire à la fin du conte de fée. Il se blesse, rate deux rencontres au sommet face au Barça et au Real. Et puis, comme par magie, il claque un doublé face au Betis un mois après son retour sur le pré. Et ce but... Un enchaînement contrôle - coup du sombrero - reprise de volée de fou furieux qui fait le tour du monde. Dingue... Comme sa capacité à tenir le coup malgré la pression et l'attention qui reposent sur lui. Un focus qui s'exerce à la fois en sa qualité de grand espoir du foot espagnol (il sera d'ailleurs sélectionné par Albert Celades, coach de la Rojita qui s'y connaît en matière d'espoirs déçus) et de premier noir à évoluer pour Bilbao. A l'époque, Jonas Ramalho avait déjà ouvert une porte, lui qui était Basque par sa mère et Angolais par son père.
Mais là où Ramalho tarde à confirmer les espoirs placés en lui, Williams crame les étapes avec la rapidité d'un sprinter jamaïcain. Normal quand on sait que Marca le flashe à 35,7 km/h lors d'une rencontre de championnat ! On voit en lui le nouveau Aduriz, auteur de cent sept buts sous le maillot rayé ? Qu'importe ! "Cela me flatte et me ravit", se contente de dire Willy. "Mais je suis encore loin d'être la relève d'Aduriz. J'ai encore beaucoup de choses à améliorer, comme mon jeu de tête." Jeune, mais mature, issu d'une autre culture, mais 100% Basque, doué, mais conscient du chemin qu'il lui reste à parcourir, Iñaki est "un merveilleux symbole", de l'aveu même du club, qui voit sans doute à la fois une façon de prouver que son modèle n'est pas aussi anachronique que cela, tout en faisant taire les critiques sur un repli sur soi pas toujours compris.
Quatre buts et deux assists en coupe d'Europe, six et une passe déc' en Liga, deux autres pions en Copa del Rey, le bilan cette saison laisse augurer du meilleur pour cet élément élancé, agile et véloce... et qui intéresse aujourd'hui plusieurs grosses écuries anglaises, à commencer par Liverpool, Arsenal et Manchester City ! Et le reste ? Bah, le reste, il le laisse à qui en veut... "J'entends dire 'Un joueur noir à l'Athletic Bilbao ? On n'a jamais vu ça !' Ca me fait juste rire. Mon nom est Inaki et je suis Basque !"
Aurélie Herman